Pêche en forêt dans le nord-est de la République démocratique du Congo: anthropologie des techniques

Photo: Placement du piège à ressort Lisombo (Mbole Yaima), village Yamboka, Territoire d‘Opala, Tshopo, RDC. Photo: Victor Yaaya, Juin 2023.

L’impressionnante diversité des espèces de poissons du bassin du Congo ne se retrouve pas uniquement dans les grandes rivières. En effet, la diversité des écosystèmes en forêt tropicale fait également de la pêche une activité importante pour les habitants de la forêt. Cette pêche en forêt dépend fortement de l’alternance des saisons sèches et pluvieuses, qui a pour conséquence que la pluie envahit et inonde les sols saturés de la forêt, pour ensuite se retirer et les laisser secs dès le changement de saison. Une grande variété de poissons, mais aussi d’habitants de la forêt, ont appris à s’approprier cette vascularité de la forêt (Dounias et al. 2016) afin de vivre en correspondance idéale avec cette « pulsation des inondations » (Wantzen et al. 2016).

Si l’emploi des grandes rivières, y compris pour la pêche, reste au cœur du projet Banturivers, nous nous intéressons aussi aux plus petits cours d’eau et zones inondées avoisinants. Les forêts du bassin du Congo ne sont pas seulement un site fascinant pour l’étude anthropologique des interdépendances multi-espèces et des rencontres « plus qu’humaines » d’aujourd’hui. Elles offrent également une fenêtre sur le passé : la variété des techniques et des technologies de pêche et de chasse qui ont émergées au cours des siècles pour soutenir les moyens de subsistance locaux offrent également un regard unique sur l’histoire des rencontres et des échanges passés.

Dans cette optique, l’équipe de recherche anthropologique du projet Banturivers complète les données des équipes linguistiques et archéologiques du projet en comparant et en opposant les pratiques contemporaines de pêche en forêt de trois sites différents. Le travail ethnographique porte ainsi sur les pratiques tant matérielles que symboliques de la pêche en forêt dans trois communautés forestières parlant des langues de différents sous-groupes bantous (Lualaba, Aruwimi, et Lomami). L’équipe vise à identifier les continuités, les différences et/ou les innovations dans les pratiques de pêche contemporaines afin d’identifier, sur la base d’une observation ethnographique réelle, les traces d’origines historiques communes, de contacts et d’échanges, et/ou d’innovations locales.

Les recherches de terrain sont menées par Peter Lambertz (ULB), Victor Yaaya Liagologa (Unikis) et Emmanuel Makoka Lindembo (Unikis), sous la guidance de Véronique Daou (ULB), et selon une fréquence adaptée au cycle de l’année. Le travail de terrain est orienté par la méthodologie de la chaîne opératoire (Gosselain 2017), tandis que les traditions orales locales ainsi que d’autres caractéristiques culturelles servent de voies d’accès supplémentaires vers le passé.

La partie la plus complexe de la recherche est l’évaluation concluante et fiable des contrastes et des continuités observés, qui apparaissent à la fois au niveau sémantique du vocabulaire, au niveau du symbolisme, au niveau matériel de la fabrication des pièges, nasses, etc., et au niveau de la corporalité des techniques. Or, comme d’habitude, le travail sur le terrain est enrichissant et toujours source d’émerveillement et de surprise : l’équipe a pu identifier différents styles de fabrication locale de bwátu (pirogues), qu’elle souhaite développer en un sujet de recherche plus étendu, et en plus de l’ethnographie multi-espèces en tant que nouvelle méthodologie de recherche, elle a découvert que des matériaux récents tels que le plastique sont incorporés dans des techniques de pêche millénaires. En outre, la pratique de longue date de la pêche communautaire subit aujourd’hui des transformations profondes dues à la pression démographique et au changement climatique.

Références

Dounias, Edmond, Serge Cogels, Serges Mvé Mbida, et Stéphanie Carrière (2016), “The Safety Net Role of Inland Fishing in the Subsistence Strategy of Multi-Active Forest Dwellers in Southern Cameroon“, dans: Revue d’ethnoécologie 10.

Olivier P. Gosselain (2017), “Technologie comparée”, dans: Smith, Alexandre Livingstone, Els Cornelissen, Olivier P. Gosselain, et Scott MacEachern (s.dir.), Manuel de terrain en Archéologie africaine, Tervuren: Musée Royal de l’Afrique Centrale (coll. Documents de Sciences humaines et sociales), p. 292-295. 

Wantzen, Karl Matthias, Aziz Ballouche, Isabelle Longuet, Ibrahima Bao, Hamady Bocoum, Lassana Cissé, Malavika Chauhan, et al. (2016) “River Culture: An Eco-Social Approach to Mitigate the Biological and Cultural Diversity Crisis in Riverscapes“, dans: Ecohydrology & Hydrobiology, New Challenges and Dimensions of Ecohydrology, Part II, 16 (1) , p. 7-18. https://doi.org/10.1016/j.ecohyd.2015.12.003.

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