Linguistique
Les linguistes examinent l’histoire de peuplement des communautés linguistiques dans l’est du Bassin Congo avec une attention particulière aux expansions bantu, le contact linguistique ultérieur, et l’histoire du répertoire riverain bantu.
Au cœur du Bassin Congo oriental, juste au nord des rapides où le Lualaba devient le fleuve Congo, se situe Kisangani, la troisième ville de la RDC. La ville et ses alentours forme littéralement le carrefour de différents sous-groupes bantu (Congo Basin/Ouest, central/Est, Boan (?), Lebonya (?)) et une langue ubanguienne (mba). Un peu plus loin, la région est encore plus diverse, avec encore un autre sous-groupe bantu à l’ouest (Congo Rivers), plus de langues ubanguiennes au nord, et des langues soudaniques centrales dans le nord-est du Bassin Congo, et des chasseurs-cueilleurs dont on assume qu’ils ont abandonné leur propre langue dans le passé. Les linguistes du projet BANTURIVERS étudient comment ce carrefour linguistique a vu le jour : qui étaient les communautés linguistiques ancestrales, d’où sont-ils venus, quand est-ce qu’ils se sont rencontrés, et quels types d’échanges ont suivi ? En plus, les linguistes examineront l’histoire d’un des facteurs non linguistiques susceptibles d’avoir attiré ou facilité les communautés concernées de s’établir dans cet environnement, notamment l’exploitation des ressources aquatiques.
BANTURIVERS se concentre sur les expansions bantu dans l’est du Bassin Congo. Les classifications actuelles racontent des différentes histoires de la région. Bastin et al. (1999) font arriver les langues “boa” et “lebonya” à un stade antérieur, avec les langues bantu occidentales et orientales arrivant plus tard sur scène. Grollemund et al. (2015), une des classifications alternatives, considèrent boa et lebonya comme contemporaines au « Central-Western Bantu », ainsi modifiant considérablement l’histoire de la région. Les linguistes proposeront une nouvelle classification, basée sur des éléments lexicaux et grammaticaux, en utilisant des méthodes phylogénétiques ainsi qu’une application fine de la méthode comparative. La nouvelle classification permettra l’identification des communautés linguistiques historiques et leurs itinéraires à et dans l’est du Bassin Congo. Un deuxième point d’attention est le contact consécutif entre les langues concernées et d’autres langues de la région : l’échange de lexique et d’autres éléments linguistiques, même l’éventuelle identification de substrats.
En plus, les linguistes examinent le côté rivière de l’histoire. Par l’approche des mots et des choses notamment l’application de la méthode comparative au vocabulaire culturel, l’histoire du répertoire riverain bantu est étudié : quels types de rivières est-ce que les communautés bantu passées connaissaient ? Comment est-ce qu’ils les exploitaient, en termes de transportation et de nourriture ? Des thèmes de recherche comme la navigation, la pêche et la préparation de poisson, mais aussi les valeurs socioculturels des rivières et la vie riveraine, le commerce et la géographie des villages et activités aux bords des rivières. Les recherches linguistiques révèleront quels types de savoirs faisaient partie du « package » avant d’arriver dans l’est du Bassin Congo, quelles connaissances étaient acquises à travers contact et lesquelles à travers des années, voir des siècles, de spécialisation. Les résultats contribueront au débat sur les facteurs non-linguistiques en jeu durant les expansions bantu.
Les linguistes du projet BANTURIVERS contribuent aussi à la documentation des langues dans l’est du Bassin Congo. Plusieurs langues de la région n’ont pas encore bénéficié d’une documentation ou seulement de façon préliminaire. Comme conséquence, les linguistes sont obligés de collecter des données sur le terrain. Vu que plusieurs langues de la région sont en danger, le terrain linguistique amènera donc des infos sur la situation actuelle des langues concernées.
Références
Bastin, Yvonne, André Coupez & Michael Mann. 1999. Continuity and Divergence in the Bantu Languages: perspectives from a lexicostatistic study. Tervuren: Musée Royal de l’Afrique Centrale.
Grollemund, Rebecca, Simon Branford, Koen Bostoen, Andrew Meade, Chris Venditti & Mark Pagel. 2015. Bantu expansion shows that habitat alters the route and pace of human dispersals. Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).