La grande campagne de terrain linguistique du projet BANTURIVERS, 2021-2022 : documentation de 50 variétés bantoues, 1 oubanguienne et 3 soudaniques centrales

Emmanuel Ngbanga Bandombele (linguiste, UNIKIS) sur le terrain

De mars 2021 à décembre 2022, 54 variétés de langues ont été documentées par David Kopa wa Kopa, membre de l’équipe BANTURIVERS, et trois linguistes de l’Université de Kisangani : Nicolas Mombaya Liwila, Emmanuel Ngbanga Bandombele et François Abuka Balabala Alumesa. La majorité des langues concernées sont des langues bantoues, à l’exception d’une langue oubanguienne (le mba) et de trois langues soudaniques centrales (le lingbe, le lombi et le mangbetu).

Comme nous l’avons écrit dans le premier article de l’équipe BANTURIVERS (Ricquier et al. 2022), le nord-est de la République Démocratique du Congo, défini comme l’ex-province Orientale, compte plus de 90 langues, dont un grand nombre n’a pas encore été documenté. Certaines d’entre elles ne sont d’ailleurs pas connues par la communauté scientifique (p.ex. le mokpa, une des langues de focus du projet BANTURIVERS, mais aussi plusieurs langues des chasseurs-cueilleurs). Environ la moitié de ces langues sont bantoues. En vue de l’établissement d’une nouvelle classification des sous-groupes bantous concernés, et de la comparaison de vocabulaire lié aux rivières afin d’étudier l’histoire ancienne de la région, un grand effort de documentation linguistique a dû être envisagé. Un terrain de cette envergure ne peut être que collaboratif, et en raison de la pandémie liée au COVID-19, le travail de terrain s’est finalement retrouvé entièrement entre les mains de nos collègues de l’Université de Kisangani : Nicolas Mombaya Liwila, Emmanuel Ngbanga Bandombele, François Abuka Balabala Alumesa, et de notre étudiant doctorant David Kopa wa Kopa (ULB-UNIKIS). En ayant divisé le nord-est de la RDC en quadrants avec Kisangani comme centre, et en incluant des langues des provinces du Maniema et du Kivu à des fins classificatoires, nous avons réussi à obtenir une liste de 100 mots pour 50 variétés bantoues, et une liste de 600 mots et de vocabulaire culturel pour 36 langues bantoues. David a également enregistré des données pour 4 langues non-bantoues.

Avant cette grande campagne de terrain, David Kopa wa Kopa avait déjà entamé la collecte de 100 mots pour les langues du nord-est de la RDC. Il a continué cette entreprise au début de l’année 2021. Les enquêtes concernaient des langues comme l’ebudja (C37), le bango (C441), le tetela (C71), le kango (D211), la variété mwenga du lega (D25) et le songe (L23), pour ne mentionner que les langues qui n’ont plus été documentées par la suite durant le terrain du projet. Les données récoltées nous ont permis de commencer le projet de classification. Dans le contexte de sa thèse de doctorat, David a également collecté des données pour les langues parlées au Bas Lualaba, notamment le mbole (D11), le lengola (D12), le metoko (D13), l’enya de Kisangani (D14), le mokpa (D142) et le komo (D23).

Le projet ayant modifié sa stratégie et ayant opté pour un travail majeur de documentation de langues, ne pouvant se faire par conséquent que de manière collaborative, David s’est alors occupé du quadrant nord-est de la zone de recherche. En janvier et février 2022, il a voyagé à Wamba, dans la Province du Haut-Uélé, et à Nia-Nia et Bunia, dans la Province de l’Ituri. Les langues bantoues parlées dans cette région appartiennent principalement à la branche « bonya » des langues lebonya et au sous-groupe boa. Concernant le premier groupe, David a enregistré des données pour le nyali (D33), le vanuma (D331), le budu (D332), le ndaka (D333) et le mbo (D334). En ce qui concerne les langues boa, David a documenté le bila (D311) et bira (D32).

Le quadrant sud-est a été pris en charge par François Abuka Balabala Alumesa, qui a réalisé des enquêtes à Kisangani et à Kindu (Province de Maniema). Le sud-est de Kisangani accueille principalement des langues lega qui sont génétiquement proches ou font partie des langues bantoues orientales (voir Grollemund et al. 2015). Ces langues ont en effet été centrales pour le terrain de François. Il a documenté les langues lega suivantes : le metoko (D13), l’enya de Kisangani (D14), le mokpa (D142), le songola (D24), les variétés lega de Pangi et de Shabunda (D251), le kwame (également D251), le zimba (D26), le nyanga (D43) et le bembe (D54). François a aussi mené une petite enquête sur le kusu (C72), une langue de l’intérieur du Bassin du Congo, et sur les langues kwange (D10?) et l’enya de Kasongo (D14) du groupe luba. Il est à noter qu’avant le terrain, nous considérions les dernières comme faisant partie du sous-groupe lega. Ce sont les données acquises sur le terrain qui nous ont montré que les langues parlées autour de Kasongo (Province de Maniema) ne sont pas lega mais plutôt affiliées à d’autres langues comme le luba et le songe.

Nicolas Mombaya Liwila a quant à lui couvert le quadrant sud-ouest de notre zone de recherche. Le terrain l’a mené dans différents villages des territoires de Basoko, Isangi, Opala et Yahuma dans la Province de la Tshopo. Cette région est avant tout le foyer des langues haut-congo. De ce sous-groupe, Nicolas a réalisé des enregistrements pour les variétés likile (C501), lolinga (C502), mbesa (C51), so (C52), topoke (C53), olombo (C54), et pour le lokele yawembe et yaokandja (C55), le foma (C56) et le mbole (D11). En plus de cela, Nicolas a également documenté le bokala (C60?), le lalia (C62) et le bongando (C63), des langues de l’intérieur du Bassin du Congo, et le lengola (D12), une langue dite « lebonya ».

Enfin, le quadrant nord-ouest, était entre les mains d’Emmanuel Ngbanga Bandombele. En plus de quelques enquêtes faites à Kisangani, Emmanuel a enregistré des données linguistiques lors de visites à Banalia, Buta et Bafwasende. Les langues ainsi traitées sont surtout des langues boa, notamment l’apagibete (C401), le kango (C403), l’ebaati (C43A), l’ebenge (C43B), le boa/leboale (C44), le leangba/lehanga (C45), le liliko (D201) et le bali (D21). Emmanuel a également enregistré des données pour l’ebendza (C41D), qui selon notre nouvelle classification est proche du ngombe (C41). En décembre 2022, David a clôturé cette grande campagne de terrain linguistique par des enquêtes sur trois langues non-bantoues. Il a enregistré du vocabulaire de base tout comme des mots culturels pour la langue oubanguienne mba et pour les langues soudaniques centrales lombi et mangbetu. Avant cela, en 2020, David avait également enregistré les 100 mots pour le lingbe, dont on espérait que ce soit une langue bantoue (presque) disparue, mais la langue documentée s’est révélée être au contraire d’une affiliation soudanique centrale.

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