Les noms utilisés sont des pseudonymes
Nous sommes le samedi 19 Août 2023 à 13h dans le centre de Banalia, un des six chefs-lieux de territoire de la Tshopo, situé à 128 km au nord de Kisangani. Nous nous trouvons dans le quartier Bodia, à une trentaine de mètres de la rivière Aruwimi, où nous rencontrons papa Richard Batiale, qui s’identifie comme pêcheur Lokele âgé de 37 ans. Il a grandi dans le territoire d’Isangi sur la rive gauche du fleuve Congo, à environ 132km en aval de Kisangani, et il n’est donc pas natif de Banalia. Lorsqu’il est arrivé ici il y a 13 ans, il aurait pu venir par voie fluviale, en empruntant le fleuve Congo jusqu’au village de Tindaito près de Basoko (180 km), où la rivière Aruwimi se jette dans le fleuve Congo, pour remonter ensuite l’Aruwimi jusqu’à Banalia (395 km). Mais vu qu’il avait de la famille à Kisangani, c’est par la route qu’il est arrivé à Banalia, en suivant son oncle qui avait déjà découvert les eaux poissonneuses de la zone.
Sa parcelle, où nous nous trouvons, est située à quelques mètres de la rivière. Peu après notre arrivée, il se dirige dans une parcelle voisine appartenant à son frère ethnique Lokele, de l’autre côté de la route, pour continuer le tissage d’un filet qu’il avait commencé avant notre arrivée.
Il regagne une chaise en plastique en dessous d’un des manguiers de la parcelle. Deux enfants plus petits sont assis par terre en train de jouer, et trois garçons – son fils Samuel et ses neveux Joël et Etienne- sont eux-aussi assis sur des chaises en plastique sous le même manguier, observant ce que fait leur vieux.
Papa Richard prend un sachet dans lequel il garde tout le matériel qui lui sert au tissage de ses filets. Il sort une bobine de fil (tokulu) et deux navettes qu’il appelle ichwaki en langue Lokele. Il se rend compte que ces navettes ont pris de l’âge et ne sont plus assez dures, et, vu aussi mon intérêt annoncé pour le savoir-faire local en la matière, il décide d’en fabriquer une nouvelle. Il sort quelques billets (des Francs) de sa poche et envoie son neveu Etienne pour lui acheter un nouveau couteau (likembele) à la boutique. Il sélectionne un morceau de bambou (eseiyalitete) de l’espace à côté, où l’on jette les ordures et les herbes coupées (liala). Il prend une machette (bopanga) à l’intérieur de la maison et revient s’assoir sur sa chaise. À l’aide de la machette il divise en cinq parties le bambou qu’il a ramassé.
Couteau à la main droite, papa Richard trace des mesures sur un des morceaux de bambou et commence à le tailler de l’extérieur vers l’intérieur, à l’aide du nouveau couteau que son neveu vient d’amener.
Une fois que sa navette est préparée, il prend le fil (tokulu) qui était sur une bobine et l’enroule complètement sur sa navette. Maintenant, il se dirige vers le tronc du manguier sur lequel le filet (wengo) est accroché pour commencer le tissage. La tâche lui est si habituelle que me parler d’autres techniques de pèche qu’il utilise n’est pas une distraction pour lui.
Parmi ces techniques figurent des filets chinois appelés invisible, achetés à la boutique : étant tissé de fils « très » fins, les pêcheurs pensent qu’il est plus facile d’attraper des poissons à l’aide de ces invisibles parce que les poissons viennent s’y accrocher sans le voir ni savoir qu’ils sont piégés, ce qui se fait moins facilement avec des filets aux fils plus épais, comme le wengo qu’il est en train de tisser.
En langue Boa, qui est parlée dans le secteur de Kole non loin de Banalia, ce filet plus traditionnel est appelé ndukanduka (ramasse-tout) parce qu’il « ramasse tout » ce qui est de son passage, poisson ou non. Ce filet ndukanduka n’est pas destiné à la capture d’une seule espèce des poissons déterminée.
Pendant que papa Richard taille sa navette, Etienne l’observe, et Samuel et Joël débattent. Vers 16h, papa Richard s’arrête car « le tissage tend vers sa fin. Il est temps maintenant de préparer les poids de pèche (tokoko) que je vais placer sur le filet la semaine prochaine. Et vu que je n’ai plus assez de tokoko dans ma réserve ici, je dois en fabriquer ». Heureuse coïncidence pour moi qui m’intéresse au processus de fabrication de ces objets !
Ainsi, pour fabriquer les tokoko, papa Richard extrait une quantité d’argile (mbiti) du sol dans la cour. Du toit de son habitation, il tire un morceau de roseau qu’il appelle eseiya bokondé et reprend le couteau avec lequel il a taillé sa navette.
Par la suite, il va dans la parcelle voisine, située en diagonale de là où nous sommes pour prendre de l’huile de palme (baitabambila) qu’il place sur un petit bouchon en plastique et revient sous le manguier.
Assis sur sa chaise, il prend l’argile entre ses mains et y ajoute graduellement une petite quantité d’huile de palme. Il mélange la pâte jusqu’à obtenir un tout homogène auquel il donne une forme ovoïde. A la fin, il le perce avec le bokonde pour obtenir un trou. A l’aide du couteau, il coupe alors les extrémités du tokoko et enlève le bokonde, avant de placer le tokoko par terre. Après qu’il en ait fabriqué plusieurs, il les étale au soleil pour le séchage à la suite duquel interviendra la cuisson. Le lendemain, le dimanche 20 Aout 2023, un grand nombre de tokoko en sont à l’étape du séchage, avant leur cuisson.
(Merci à Laurent Nieblas Ramirez pour la relecture du Français)