*les termes émiques en italiques sont en lingala, ceux avec astérisque sont en langue mbole ngoyangoya.
L’impressionnante hydrographie du bassin du Congo et la diversité de ses rivières en font de la pêche une activité importante pour la subsistance des habitants de la forêt tropicale. Cette activité, la pêche, dans les rivières et en forêt, nécessite un moyen de déplacement : le bwátu (weto*), la pirogue monoxyle, dont le succès, le nombre et la popularité indiquent à quel point une invention du passé lointain participe aujourd’hui à la l’ère moderne en Afrique centrale. Alors que beaucoup se déplacent parfois très loin pour se procurer un bwátu pour le transport ou pour la pêche, les personnes qui les fabriquent, elles aussi, se déplacent et exportent ainsi leur savoir-faire vers des endroits parfois loin de leur milieu d’origine: le cas du jeune Besemaka, alias Bese, présenté ici, montre comment le savoir-faire nécessaire à la construction d’une pirogue se déplace avec l’artisan, et se transmet ainsi dans le temps et dans l’espace.
Nous sommes jeudi, 17 août 2023, jour prévu pour le foofi* ou kopepa (écopage) à Likau, camp de pêche permanent situé sur la rivière Lomami. Likau se situe à deux heures et demie par bwátu ya koluka (pirogue à pagaye) en aval d’Opala. Pour remonter la rivière d’ici jusqu’au chef-lieu de territoire, le voyage prend au moins cinq heures. Besemaka, fabrique des pirogues ici à Likau. Jeune homme d’environ vingt-cinq ans, il est originaire du village Yakongolo, en aval sur la rive droite. Bese est arrivé à Likau en accompagnant sa tante maternelle (mama leki) qui fut mariée à un jeune homme de Likau et qui dû donc se déplacer selon le système de parenté patrilinéaire virilocale. Il explique ses motifs lui-même par l’expression kolukaluka (chercher à survivre, se débrouiller), mais découvrit rapidement qu’à Likau il sera le seul à savoir sculpter des pirogues.
Alors que Bese sait lui-aussi pêcher (koloba) et faire le champ (bilanga) comme les autres habitants de Likau, il a en plus appris dès son enfance à fabriquer toute une gamme d’objets : des nzungu(casserole à base d’aluminium recyclé), des mitambo ya nyama (pièges à gibier),des bibonga (chaises traditionnelles faites de lianes et de bâtons), des mbeto (lits), mais surtout des bwátu (pirogues). Bien que son père n’était pas le seul constructeur de pirogues à Yakongolo, c’est de lui, son père biologique (tata moboti) qu’il a appris.
Rapidement après son arrivée à Likau, il a pu se créer une réputation en tant que fabriquant de bwátu. Et il le déclare avec fierté : « faire les pirogues, c’est ma spécialité !» Aujourd’hui, il est le fabriquant le plus sollicité de Likau.
Bese nous explique que deux outils sont cruciaux pour la construction de pirogues : le lifa* (hache) et le ikenye* (rabot). En plus il y a le litale* (pierre pour aiguiser les outils) et le osiyo* (lume) ; La hache lifa* sert à couper l’arbre choisi et à donner la forme au bwátu ; L’ikenye* sert à raboter et « nettoyer » le troncpour le rendre lisse et présentable. La durée de fabrication d’un bwátu dépend de sa taille.
L’appellation des différentes parties révèle un anthropomorphisme clair :
Mbole Ngoyangoya | Lingala | Français |
molo o weto | les deux pointes de la pirogue, l’avant et l’arrière | |
Molo e felo | Elongi ya bwátu | Pointe avant de la pirogue |
Molo e mbisa | Lisembe ya bwátu | Pointe arrière de la pirogue |
Litoka li weto | Libulu ya bwátu | Le trou où l’on attache une chaine ou une corde |
litoka li weto | Mipanzi ya bwátu | Les côtes de la pirogue |
otema o weto | Motema ya bwátu | Le cœur ou partie centrale creuse de la pirogue |
lifusa li weto | la partie intérieure creusée de la pirogue où l’on reste | |
Litanala li weto | Libumu ya bwátu | Le ventre de la pirogue |
Aimo o weto | Ma-/li- tama ya bwátu | les joues de la pirogue |
Okongo o weto | Mokongo ya bwátu | Le dos de la pirogue |
Ikeka i weto | Séparateur de la pirogue | |
Ayolo a weto | Ekiteli ya bwátu | Les descentes de la pirogue |
A la différence des constructeurs de bwátu de Basali sur la rivière Lulu dans le territoire de Basoko, où nous avons aussi rencontré des fabricants de pirogue, où le bohulu (tola) est l’arbre préféré pour la construction de bwátu en raison de sa flottabilité et de sa forme droite qui permet de bien tailler la pirogue, Bese utilise une série d’arbres différents pour fabriquer le bwátu dont les espèces appelées en kiMbole ngoyangoya wele*, liboyo*, likole*, olongo*, oulu*, otumé*, lisoma*, isoilale*, lilausa*, likoke*, wangha*, okolome*, isali*, lioko*. Mais les bwátu fabriqués, selon Bese, à partir de oulu*, isoilale*, wangha*, isali*, okolome*, wele* ont une durée de vie d’à peu près dix ans plus longue que les autres.
Ses potentiels clients sont, pour la plupart, des pêcheurs. Bien que les outils et la chaine opératoire de la construction de bwátu se ressemblent fortement dans les régions d’Opala et de Basoko, il faut noter que la taille, mais aussi et surtout la forme des bwátu diffèrent : les raisons pour ces différences sont sans doute d’ordre écologique et liées aux usages des pirogues, mais il y a sûrement aussi une dimension historique qui reste à être décortiquée dans les recherches à venir.
Bien que les outils et la chaine opératoire de la construction de bwátu se ressemblent fortement à Opala et à Basoko, il faut noter que la taille, mais aussi et surtout la forme des bwátu diffèrent : les raisons pour ces différences sont sans doute d’ordre écologique et lié aux usages des pirogues, mais il y a sûrement aussi une dimension historique qui reste à être décortiquée dans nos recherches à venir.
A Opala centre il y a aussi d’autres fabricants de bwátu, dont papa Otoko Osumaka JB, qui construit ses bwátu dans la forêt Okongo o ngba*, juste en amont d’Opala, à plus ou moins deux heures de voyage par pirogue.